L’instinct
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Pour introduire le Chevalier de Sang dans l’univers de Diablo via le jeu Diablo : Immortal , Blizzard nous partage cette nouvelle de Ryan Quinn :
Scénario
Ryan Quinn
Illustration
Sangsoo Jeong
Édition
Chloe Fraboni
Conseils diégétiques
Madi Buckingham, Ian Landa-Beavers
Conseils créatifs
Mac Smith,
Sebastian Stępień
Production
Brianne Messina,
Carlos Renta
Conception
Corey Peterschmidt
Remerciements
Otis Blum, Justin Dye, Scott Shicoff,
Matthew Berger et toute l’équipe (actuelle ainsi qu’ancienne) de Diablo Immortal sans qui Sanctuaire ne serait pas abreuvé de sang frais
© 2023 Blizzard Entertainment, Inc. Tous droits réservés.L’instinct
Dans l’est de Port-Royal, les quartiers se vidaient dès l’arrivée du crépuscule. Alodie était habituée à ce voile d’inhospitalité qui s’abattait si soudainement sur la ville, mais elle n’en était pas moins gênée.
D’un pas décidé, elle traversa la rue, ou plutôt l’étroit couloir à ciel ouvert qui semblait s’enfoncer dans les ténèbres à l’infini. Sur les bas-côtés, de vieilles bicoques en bois détrempé s’étalaient, morcelées jusqu’à ce qu’il soit physiquement impossible de les rendre encore plus exiguës. Certaines étaient même de véritables appentis, des taudis pour miséreux.
Les résidences de l’avenue Larmoie dissimulaient efficacement cette indigence.
Au moins, Alodie pouvait y humer l’odeur de l’océan, faute de l’apercevoir. Des cris ponctués d’injures s’élevaient depuis les quais. La criminalité attendait à chaque tournant. Des poissons au sort tragique s’étouffaient là où personne ne les voyait.
Ça puait.
Les bidonvilles de Port-Royal n’avaient qu’un seul avantage : nul ne mettait son nez dans les affaires des autres. Alodie suivait de près son cousin, les pavés parsemés de moisissures défilant sous ses pieds.
« Accélère », grommela Boyce. Il pressa le pas sans se retourner vers elle, ne daignant toujours pas lui dire où il l’emmenait.
Plus âgé qu’elle, Boyce avait les faveurs de la famille. Sa silhouette émaciée était surplombée d’un nez tellement proéminent qu’il éclipsait son visage. Son manteau était assez large pour cacher un glaive. Alodie, quant à elle, avait de beaux cheveux clairs fermement attachés. Elle portait des gants que d’aucuns auraient qualifiés de laids. Les deux acolytes étaient équipés pour aller « négocier » avec quelqu’un.
De toutes les tâches auxquelles Alodie s’adonnait pour sa famille à Port-Royal,
c’était celle qu’elle aimait le moins.
L’organisation n’était pas de tout repos. Il fallait dépêcher les cochers pour la livraison, s’assurer qu’ils sachent quelles caisses ouvrir, les informer du montant du pot-de-vin à verser à la garde en cas d’ennui… Elle était douée pour ne rien laisser au hasard, mais plus il y avait de variables, plus son état de fatigue s’en ressentait. Heureusement, sa rémunération était à la hauteur. Et bien que remplir des manifestes d’expédition soit une corvée abrutissante, elle pouvait partir plus tôt si elle finissait en avance. Elle contrebalançait la monotonie de ses journées en rendant ses nuits mémorables. Quelques mois auparavant, Linn et elle, complètement saoules, avaient vandalisé l’une des calèches familiales en écrivant « L’aumône, braves gens » en lettres de sang de vache sur la capote en cuir.
Au petit matin, le véhicule était resplendissant. L’acte était resté impuni, le sujet n’avait même pas été abordé. Alodie avait gloussé pendant des heures à la simple pensée de la vieille mère de Boyce, la matriarche en personne, rouge de colère, en train d’ordonner à la femme de ménage de faire disparaître cette inscription, le tout dans un torrent ininterrompu d’injures.
Sa complice, Linn, était sa seule amie depuis bien longtemps. Alodie ne se rappelait plus précisément ce qui les avait alors rapprochées, mais elle savait pourquoi elles étaient désormais inséparables. Linn était une poétesse dans l’âme.
Elle travaillait dur dans son échoppe sans le moindre instant de repos, tout en mettant un point d’honneur à arborer la soie de la meilleure facture qui existe et à en faire profiter son amie. Alodie la jalousait. Linn n’était pas de la famille, elle. Elle n’avait pas besoin de « négocier » avec qui que ce soit.
Mais Alodie se voyait contrainte de fréquenter ces parasites. Ces rebuts. Ils
accumulaient les dettes.
Puis, ils empruntaient de l’argent.
Puis, ils refusaient de rembourser.
Et c’est à Alodie qu’incombait la responsabilité de conclure un marché avec eux.
Ses cousins avaient tendance à se montrer plutôt… impatients. Elle devait fixer les montants et les dates, tout en rassurant le débiteur, pendant qu’autour, les garçons s’en donnaient à cœur joie. Elle ramenait ces rebuts à la raison, avant qu’il ne leur arrive quelque chose de fâcheux. Même si la plupart d’entre eux ne méritaient pas une telle considération.
L’existence de cette pratique, le simple fait qu’elle soit nécessaire, était ignoble.
Comment les gens pouvaient-ils être à ce point pernicieux ?
Boyce ouvrait toujours la voie à travers le quartier de Grisjardin. Dans ce labyrinthe de bois et de pierre, les deux cousins changeaient de direction toutes les quelques secondes. Si les habitants les observaient de chez eux, la couche de crasse qui recouvrait les fenêtres empêchait Alodie de s’en rendre compte. Évidemment, ils n’avaient pas intérêt à la nettoyer. Les activités abjectes qui se déroulaient à
l’intérieur n’en étaient que plus discrètes.
Alodie était perdue et commençait à avoir la nausée. Elle tenta sa chance. « Qui est le rebut, cette fois ? »
Comme d’habitude, Boyce l’ignora royalement, elle et sa question. Il disparut à un angle.
En le contournant, Alodie tomba sur son cousin en train de triturer quelque chose sous son manteau. Il s’était enfin, presque miraculeusement, arrêté devant une bâtisse mitoyenne d’une teinte marron peu reluisante, qui n’était autre que…
Alodie oublia instantanément les mille tracas qui avaient accaparé son attention toute la soirée. Son estomac se serra comme un étau. Dans la panique, ses doigts se convulsèrent.
Le panneau de l’échoppe de Linn ballottait dans la brise nocturne.
Boyce esquissa un grand sourire. Ses dents étaient jaunes.
« Un peu de courage, petiote, ricana-t-il. Suis ton instinct. C’est juste un mauvais moment à passer. »
Puis, il se tourna et défonça la porte d’un coup de pied.
« Comment tu peux être aussi stupide ? », cria Alodie à l’attention de sa seule amie.
Il n’y avait pas de miroir dans la pièce, et heureusement. Alodie n’avait pas envie de se voir dans cet état. De la sueur mêlée à des postillons, des veines saillantes dans son cou et sur son front, le visage pourpre. Grotesque, c’était le mot. Linn était attachée à une chaise renversée, les mains liées dans son dos et le corps à même le sol. Tactique classique d’intimidation. La boutique était déjà sens dessus dessous. Sur le mur du fond, des quantités de laine et de fourrure de lapin encerclaient un métier à tisser. Des lanières de cuir inégales pendaient çà et là, des bocaux de teinture agglutinés jonchaient le bureau, d’innombrables brins de paille recouvraient le sol. Les locataires qui vivaient à l’étage risquaient à tout moment de traverser le plafond, bas et qui menaçait de s’affaisser.
À l’opposé de ce désordre absolu, des mètres de soie fine étaient soigneusement pliés dans une commode ouverte.
Alodie montra du doigt le tissu. L’une des livraisons assurées par sa famille. Son doigt parcourut ensuite la pièce dans son intégralité. « C’est nous qui t’avons donné tout ça. Tout ce que t’avais à faire, c’était payer dans les temps. »
Linn pleurait sans discontinuer. Son petit visage en forme de pomme semblait avoir rétréci encore davantage après toutes ces larmes versées. Elle portait un foulard élaboré aux couleurs bleues et dorées autour du cou, et avait appliqué de la poudre rose rehaussée de cire volée chez le tanneur sur ses cheveux châtains
Ils utilisaient cette notion pour brider Alodie, conscients qu’elle était parfaitement capable de prendre les commandes. Ils lui répétaient qu’elle n’avait pas l’instinct d’une chasseuse.courts. Même avant cette irruption dans sa boutique, elle était aux aguets. Alodie en était convaincue.
Linn l’implorait des yeux.
Tant mieux. Cela signifiait qu’elle se montrerait raisonnable. Alodie posa sa main sur la chaise, comme pour la redresser. « Deux cents d’ici un mois. Si c’est dans tes cordes, alors… »
Boyce l’interrompit. « On fait pas de promesses quand on peut pas les tenir. » Le tact n’était pas son point fort.
Linn afficha immédiatement une expression de défiance. Ce qui constituait un exploit, pour quelqu’un écrasé au sol par son propre poids.
« Je te conchie, pif sur pattes ! », cracha-t-elle. « J’espère que les chats de ta mère vont lui gober les yeux, et que des démons vont gober les chats. »
Linn manquait de tact, elle aussi, mais son langage fleuri était assumé. En outre, elle n’avait pas tort. La mère de Boyce avait tout d’une mégère.
Boyce ne répondit pas. Il se contenta de sortir un marteau à double tête de sous son manteau. Il fracassa les bocaux de teinture un par un, faisant gicler les bouts de verre et le colorant cobalt dans toute l’échoppe. Linn hurla. Alodie ferma les yeux pour éviter les éclats. Quand le calme revint, elle vérifia qu’aucun ne lui avait entaillé la peau.
Là, Boyce fourra un chiffon dans la bouche de Linn, saisit la chaise et se dirigea vers le bureau, toujours armé de son marteau.
« Arrête ! », cria Alodie d’une voix puissante, avant qu’il ne commette l’irréparable.
« Que j’arrête ? Pourquoi je ferais ça ? », rétorqua Boyce en agitant le marteau.
Son regard alterna plusieurs fois entre Alodie et Linn, comme s’il attendait qu’elles lui donnent une solution.
Alodie observa son amie. La bouche béante, les yeux écarquillés, les sourcils haussés. Elle était terrifiée.
« Parce qu’elle va payer un supplément. Cent pièces de plus, juste pour toi, quand ce sera réglé. Pour le dérangement occasionné. Dans un mois. N’est-ce pas, Linn ? »
Linn acquiesça silencieusement. Dans le jargon, on appelait cela une victoire.
Une démonstration de force, et voilà le…
Boyce s’approcha lentement, avec précision, d’Alodie. Le marteau était fermement ancré dans la paume de sa main.
« Je crois qu’elle ne retiendrait pas la leçon. Je crois… », il marqua une pause délibérée. « Qu’ellene mérite pas une telle indulgence. »
Le cœur d’Alodie battait à tout rompre. Elle espérait que son visage ne trahissait pas son angoisse. Elle allait réellement devoir négocier, cette fois. Et ce, avec les deux parties prenantes.
« Très bien. », concéda-t-elle. « Linn paye dans deux semaines. Je viendrai récupérer l’argent moi-même. Et je m’occupe de tes manifestes pendant un mois. »
Un compromis. Parfois, les compromis avaient du bon. C’était un signe de respect envers l’interlocuteur.
« Tu l’as vraiment pas, l’instinct », déplora Boyce en pliant ses doigts autour du marteau. Il paraissait presque triste.
Sa mère ne jurait que par « l’instinct ». Il faisait donc de même. Ils utilisaient cette notion pour brider Alodie, conscients qu’elle était parfaitement capable de prendre les commandes. Ils lui répétaient qu’elle n’avait pas l’instinct d’une chasseuse. L’instinct… d’une tueuse.
Mais c’était faux. Elle l’avait prouvé.
Du moins, jusqu’à un certain point.
« Puisqu’elle nous prive de notre gagne-pain, je vais la priver du sien. Juste retour des choses. » Boyce pivota, brandit son marteau et jeta un regard condescendant à Linn, recroquevillée sous la chaise.
Linn se fit encore plus petite, poussa un geignement occulté par le bâillon.
« Je t’en prie », supplia Alodie.
Boyce s’agrippa à la chaise pour la stabiliser.
Alodie savait ce qu’il se passait en lui. Il suivait son instinct.
« Espèce d’imbécile. Si tu lui casses les doigts, comment veux-tu qu’elle fasse pour rassembler l’argent ? Elle va juste… »
Il rabattit violemment le marteau.
Linn se contorsionna sous la chaise. Elle laissa échapper des sons incompréhensibles. Pas à cause du bâillon, cette fois. Mais parce qu’elle était incapable de prononcer des mots. Parce que la douleur était insoutenable.
Ses membres furent parcourus de spasmes et de la bave coula sur son menton, tandis que Boyce redressait la chaise et lui détachait les poignets. Les phalanges droites de Linn étaient en lambeaux. Le sang se répandait sous ses ongles et dans les crevasses de sa peau disloquée. Elle se balança d’avant en arrière, tenant sonbras tout contre son corps.
Alodie ne voulait pas assister à ce spectacle. Elle préféra fixer Boyce. Quelques gouttes de transpiration mises à part, ce dernier ne semblait pas affecté outre-mesure.
« Maintenant, on obtiendra rien », siffla Alodie, pleine de haine. « Moins que rien, même. Pauvre faquin. »
Boyce se contenta de hausser les épaules. « Mais si, elle va payer. Et plus vite qu’en deux semaines. » D’une main, il tira Linn en direction de la porte. Ellegémissait toujours à travers le bâillon.
La nonchalance de son cousin donna froid dans le dos à Alodie. « Tu l’emmènes où ? »
Que comptait-il faire, exactement ? La vendre dans une usine ? La vendre dans un bordel ? Malgré sa main en piteux état ?
À nouveau, Boyce ignora sa question. « C’est plus ton problème. »
Il lui balança un sac. L’impact souleva des brins de paille qui tournoyèrent.
« Prends la soie et tout ce qui a de la valeur, puis rentre à la maison. On en parlera demain. »
Alodie sentit son sang bouillonner. Elle devait l’arrêter. Le frapper. Intervenir de quelque manière que ce soit.
Mais il avait les faveurs de la famille.
Tandis que Boyce la traînait hors de l’échoppe, Linn ne quitta pas Alodie des yeux.
Alodie erra dans les rues comme si elle n’était plus que l’ombre d’elle-même.
Lentement. À reculons. Elle n’était pas aussi insensible qu’elle l’aurait souhaité.
Dans les cas où « négocier » n’avait pas suffi, elle ne s’était jamais donné la peine de venir en aide à un rebut. Mais Linn n’en était pas un. Du moins, pas un comme les autres.de la ville, se trouvait un abri appartenant à sa famille où les cavaliers étaient suppléés, et la cargaison substituée, en vue d’une nouvelle expédition. Alodie y avait fait l’aller-retour à pied plus d’une fois.
L’abri était discret, situé à l’endroit précis où la canopée s’épaississait. Boyce s’épousseta les mains derrière une grande calèche à quatre roues. Deux autres engins similaires étaient immobiles, non loin. Les trois véhicules, surmontés d’une capote en cuir uni, étaient ouverts à l’arrière, mais les ténèbres empêchaient de
distinguer ce qu’ils transportaient.
Alodie entendit les chevaux souffler et frapper du sabot, tandis que les cochers échangeaient quelques mots étouffés. Elle s’allongea à même le sol humide, les bras dans la fange, les vers et les excréments. Les buissons et les ronces lui transperçaient la peau.
Boyce était accompagné de Lachlan, dont la tête ressemblait à une courge, et de deux autres gaillards costauds. Dans l’obscurité, ils s’approchèrent d’Alodie en traînant la patte, armés de lourdes triques et de torches tout aussi dangereuses. Elle se souvint que certains membres de la famille avaient autrefois fricoté avec des truands adeptes des couteaux.
La mine sinistre, ils étaient aussi silencieux qu’une tombe. Habituellement, les plaisanteries de mauvais goût fusaient à tout va lors des transferts. Ils ne se lassaient jamais de crier haut et fort ce qu’ils allaient faire de l’argent. Et ils repartaient encore plus vite qu’ils n’étaient arrivés, dodelinant de la tête comme des simplets.
Ils n’avaient aucune raison de s’attarder.
Alodie se mordit la langue sans ménagement. La douleur la lança, tandis que les lueurs dansantes du feu se rapprochaient. Le feu qui illuminait la nuit. Le feu qui était sur le point de la débusquer.
Elle dévisagea Boyce. Des pieds à la tête. Il avait certes les faveurs de la famille, mais il n’était pas invincible pour autant. Ses yeux, renfermant des pupilles noires, étaient souples et fragiles. Sa gorge, suffisamment étroite et exposée pour être broyée. Si seulement Alodie avait songé à emporter un gourdin, un bâton pointu ou ne serait-ce qu’un fragment de verre brisé de l’échoppe…
Pour suivre son instinct, il fallait peut-être agir en dépit des conséquences.
L’homme n’était plus qu’à un mètre d’elle. Elle serra les poings, raidit les genoux.
Si elle était découverte, elle allait regretter de ne pas avoir frappé en premier.
Et ensuite, quel était le plan ? Elle allait se faire écrabouiller les phalanges.
Être vendue dans un bordel. Boyce avait raison depuis le début. Elle ne l’avait pas, l’instinct. Elle faisait semblant.
Ou bien… elle n’écoutait pas assez attentivement.
Après tout, il était distrait.
L’avoir laissé l’ignorer et s’en tirer à si bon compte… cela faisait partie du plan. Son instinct l’avait toujours su.
Sans un bruit, Alodie s’enfonça encore plus profondément dans les broussailles.
L’homme dépassa sa cachette, avançant d’un pas vif et décidé. Les lueurs des torches s’amenuisèrent. Les ombres qui l’enveloppaient étaient si profondes qu’elles étaient presque palpables. Au loin, les trois calèches émirent des craquements sourds, retournant la terre et la boue dans leur sillage, tandis que les chevaux les tractaient en réponse aux coups de fouet.
Si Alodie se relevait trop vite, elle risquait de se faire remarquer. Mais si les canassons prenaient trop d’avance, elle serait ensuite incapable de les rattraper.
Se désintéressant de Boyce et de ses compères, qui étaient probablement toujours en train de se retirer sans un regard en arrière, Alodie rampa vers la carriole la plus proche. Le souffle court, elle s’efforça de ne pas éternuer malgré la puanteur équine et les autres substances qui la submergeaient.
À l’avant des calèches, les cochers maniaient de longs fouets et des torches étaient accrochées de part et d’autre de leurs sièges. Ils faisaient claquer leurs ustensiles à outrance et échangeaient des rires. Sifflant sur un ton strident. Chantant à tue-tête.
Ne prêtant aucune attention au reste. Les chevaux partirent au galop.
Pour suivre son instinct, il fallait peut-être agir en dépit des conséquences.
Alodie s’élança. Elle posa un pied sur la marche située à l’arrière du véhicule et se hissa à l’intérieur. Elle atterrit lourdement sur le ventre, ce qui expulsa tout l’air de ses poumons.
Par chance, elle n’eut donc pas assez de souffle pour crier face à la vision d’horreur qui s’imposa à elle.
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La charrette abritait une scène cauchemardesque. Des corps avachis les uns sur
les autres, écrasés contre les parois. Ces êtres, ligotés à des piquets tel du bétail,
n’étaient plus que des formes grisâtres qui respiraient à peine. Certains étaient
déchaussés, les pieds démantibulés et bleus à la base de la cheville, ou les mains
ayant été réduites en miettes parsemées de bouts d’ongles. La plupart avaient les
yeux bandés, tous étaient bâillonnés. Leurs têtes pendaient, stupéfaites. Éclairés
par de minces rais de lumière émanant des torches, ces fantômes n’étaient presque
plus humains.
La mère de Boyce, ou plutôt la famille dans son intégralité, y compris Alodie,
avait effectué toutes sortes de livraisons. Notamment des livraisons immorales.
Mais une telle barbarie dépassait de loin tout ce qu’Alodie en savait.
Elle déglutit difficilement. Sa salive avait un goût aigre.
Elle ne parvint pas à se lever. En partie à cause des haut-le-cœur qui lui
labouraient l’estomac. La calèche filait à toute allure. Elle roulait vers le nord, où
la forêt se faisait plus dense. Si le trajet s’éternisait dans cette direction, les roues
allaient lâcher avant qu’ils ne puissent s’extirper de Souffrebois. Par les Enfers, où
allaient-ils ainsi ?
Alodie examina frénétiquement les visages des condamnés, tout en fuyant le
regard vague de ceux qui l’observaient également. Elle ne reconnut personne. Il
s’agissait vraisemblablement de rebuts. Mais pas ceux dont
elle s’était occupée, si ?
Soudain, elle ressentit l’équivalent d’une gifle. Elle voulut fondre en larmes,
Les cris perçants laissèrent peu à peu
la place à des borborygmes graves,
salivaires. Alodie entendit des bruits
de grattements frénétiques, un
mugissement lancinant qui n’était pas
le même qu’auparavant, puis le silence.
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mais son instinct ne lui accorda pas ce luxe. Sa détresse resta coincée au fond de
sa gorge.
Linn gisait sur le dos, sur deux autres prisonniers. Ligotée et bâillonnée, les yeux
clos. Inerte.
Alodie se mit en position accroupie. « Chut… » murmura-t-elle à l’attention des
passagers, un doigt sur les lèvres. Elle avait l’impression que cette voix n’était pas la
sienne, comme si elle l’entendait de l’extérieur. Elle insista sur son doigt, toujours
posé sur ses lèvres.
« Je dois savoir si cette fille est vivante. Après, je vous aiderai. » Était-elle
seulement capable de sauver ces malheureux ? Cela avait-il une quelconque espèce
d’importance ?
Un râle lui répondit. Une expiration à peine perceptible, émanant de près de la
paroi. Alodie n’était pas sûre d’avoir bien entendu, encore moins compris.
Elle exerça toute l’autorité qu’il lui était possible de conférer à un murmure.
« Pas un bruit. »
Alodie se pencha en avant, calculant le moindre de ses mouvements pour éviter
de toucher les membres blessés des captifs. Vers l’avant du chariot, elle aperçut les
paupières de Linn papillonner. Une vague de soulagement l’envahit.
Les yeux de sa seule amie étaient gonflés. Mais elle lui adressa un regard, et
Alodie y lut de la gratitude. Elle n’avait pas été droguée, avantage fortuit d’avoir
rejoint la cargaison dans les derniers. Néanmoins, le chiffon dans sa bouche avait
été remplacé par un bâillon en cuir, et ses deux mains étaient solidement liées à
un piquet.
La droite, en particulier, n’était plus qu’un amas de chair enflée virant au bleu-
jaune. Cassée, à l’évidence. Probablement impossible à soigner. Une main était un
mécanisme complexe constitué de nombreux rouages minuscules.
Des branches et des feuilles frottèrent contre la capote. La végétation
commençait à se densifier. Alodie s’affaira à dénouer précautionneusement la
corde qui enserrait les poignets de Linn. Ensuite, elle allait libérer ses pieds. Elle
ôterait aussi le bâillon. Et pour finir, elles prendraient leurs jambes à leur cou.
En se démenant avec les liens, Alodie tremblait. Elle avait du mal à contrôler ses
mains, comme si elles appartenaient à quelqu’un d’autre. Au moins, les gants laids
épongeaient sa sueur. Mais il y avait tant de nœuds. Aucune marge de manœuvre.
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Elle y passait trop de temps.
Frustrée, elle s’attaqua à une boucle autour du poignet encore fonctionnel de
Linn. Cette dernière gémit à travers son bâillon et grimaça en renâclant de manière
paniquée. À chaque seconde, la douleur s’accentuait.
Là, le cocher poussa une interjection et le véhicule commença à ralentir. Alodie
tira désespérément sur la corde.
La faible lueur des torches disparut. Quelqu’un descendit des sièges et pataugea
dans la bourbe. Alodie se retourna vers l’ouverture arrière de la calèche. Les
bruits de pas contournèrent rapidement l’avant, suivis du son des chevaux qu’on
déharnachait. Puis, ils s’éloignèrent sans une once de discrétion. Les cochers
s’étaient mis à courir.
Nul n’était entré dans la charrette. Venaient-ils d’abandonner les prisonniers ?
Linn tenta de parler derrière son bâillon. La connaissant, Alodie aurait parié sur
une boutade au sujet de sa main broyée.
Affriolant, tu trouves pas ? Ou alors, peut-
être était-elle furieuse. Cela aurait été parfaitement compréhensible.
Alodie libéra enfin le poignet fonctionnel de son amie et arracha son bâillon.
« Ils ont interrompu la livraison », souffla Linn, à bout de nerfs. « On sert
d’appâts. »
Tout à coup, le bois se fendit dans une cacophonie assourdissante tout autour du
convoi, comme si une multitude de coups de hache s’abattait sur les arbres.
Un hurlement horrifié déchira la forêt. Un concert lui répondit.
Une minute s’écoula, qui sembla durer une heure. Les cris perçants laissèrent
peu à peu la place à des borborygmes graves, salivaires. Alodie entendit des bruits
de grattements frénétiques, un mugissement lancinant qui n’était pas le même
qu’auparavant, puis le silence.
Son instinct était pétrifié. La peur avait pris le dessus sur ses pulsions. Chaque
inspiration lui brûlait les poumons. Et elle pouvait à peine bouger, outre les
soubresauts qui ébranlaient tout son être.
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À une main et sans piper mot, Linn triturait le cordage qui ceinturait ses pieds.
Elle progressait à un rythme quasi nul, plus lentement encore que la mort qui
rôdait aux alentours. Elle n’allait jamais réussir à se détacher seule.
Les autres captifs commençaient à reprendre leurs esprits. Ils regardaient
mollement autour d’eux, tentaient de se dégager des piquets, tordaient leurs
entraves et leurs sangles de cuir trempées de transpiration.
Alodie était la seule à pouvoir se tenir sur ses pieds. À pouvoir fuir. Linn lui lança
un regard interrogateur, sommateur. Alodie ne lui en tint pas rigueur.
Linn hocha la tête lorsque son amie se pencha et inséra son pouce dans l’un des
interstices de la corde à ses pieds. Elles dénouèrent les liens ensemble, en silence,
jusqu’à ce que le raclement traînant d’une créature aplatissant le sol leur vrille les
oreilles. Ce son emplit l’espace et leurs pensées, pendant qu’elles libéraient le pied
gauche de Linn non sans déchiqueter quelques bribes de peau.
Soudain, l’avant de la carriole se fendit en deux.
Le bois explosa en projetant des dizaines d’échardes. Alodie recula
précipitamment, à quatre pattes, en tirant Linn par son bras valide.
Le chariot s’inclina. Trois malheureux se volatilisèrent, violemment arrachés à
leur piquet et engloutis par les ténèbres. Des cris fusèrent dans toutes les directions.
Alodie entrevit des gencives d’un noir de jais et plusieurs rangées superposées
de dents. Un tentacule crénelé rouge sombre traversa le convoi qui n’était plus
qu’une épave et agrippa son épaule. Elle se dégagea en faisant fi de la souffrance, et
la chose ondula vers un autre condamné qui fut emporté à sa place. Alodie n’y prêta
pas attention et se contenta de hâler Linn. Les deux jeunes femmes se précipitèrent
vers l’arrière de la calèche penchée.
Linn avançait à tâtons, claudiquant sur ses jambes encore engourdies. La
douleur se répandit dans l’épaule d’Alodie quand elle tira son amie vers l’inconnu.
Dans son dos, elle aperçut les restes des trois véhicules, imbibés d’un sang écarlate
épais comme de la sève. Une torche, solidement calée et toujours allumée, était
perchée au sommet de l’un d’eux telle une bougie.
Les corps que la famille avaient sacrifiés en guise d’offrandes jonchaient le sol.
Des entrailles sanguinolentes et emmêlées les reliaient, comme les fils d’autant de
marionnettes. Tous étaient morts, à moitié morts ou bientôt morts, et se tortillaient
à l’unisson dans la terre avilie en esquissant les mêmes gestes, en poussant les
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mêmes gémissements.
Le cœur tambourinant dans sa cage thoracique, Alodie entraîna Linn aussi
vite que son instinct le lui permit dans les profondeurs obscures de la forêt de
Souffrebois.
Une abomination rôdait dans Souffrebois, les griffes ensanglantées. Basse sur ses
appuis, elle se faufilait tel un murmure.
Les arbres masquaient le clair de lune sans pourtant dissuader sa maraude. Ses
yeux étaient faits pour la pénombre.
Comme bien d’autre fois auparavant, l’abomination s’attarda sur un spectacle
de désolation vieux de quelques heures : deux corps grièvement blessés, à la chair
déchiquetée par des griffes et des crocs. La peau qui leur restait était épineuse,
différente de ce qu’elle avait été jadis.
Les corps reposaient sur un sol souillé de couleur ocre. Ils étaient immobiles.
C’était important.
L’abomination tâta les corps, puis perfora l’un d’eux d’une seule main. Elle s’y
enfonça dans un craquement dégoûtant
, le corps restant raide et inerte.
Puis elle surgit au-dessus du deuxième. Et répéta l’opération.
La mâchoire disloquée du cadavre s’ouvrit, laissant échapper un mucus putride
d’entre ses dents. Comme un insecte agonisant, il s’agita de tous ses membres
contre l’abomination. Même dans cet état, ses coups étaient brutaux. Les dents
tranchantes comme des rasoirs qui commençaient à poindre sous sa peau
éraflèrent le cuir de l’abomination, mais sans plus de dégâts.
L’abomination se contorsionna. Puis d’un écrasement, elle renvoya le corps à
son immobilité. Ses yeux étaient enfoncés, cernés de chassie rouge. Malgré toute
sa frénésie, ses paupières étaient restées closes.
Se levant sur ses pattes, cherchant au-delà de la douce fumée et de la
putréfaction, l’abomination décela quelque chose. Son regard se posa sur des
traces éparses qui conduisaient vers l’est, en direction de la partie la plus dense
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de la forêt. Elle remua la boue d’un coup de patte, s’arrêtant pour flairer la piste.
Deux de plus. Blessés.
La chasse n’était pas terminée.
Les ténèbres enveloppèrent l’abomination qui s’éloignait et elle finit par
disparaître.
Alodie et Linn avaient fui les choses de la nuit. L’obscurité était impénétrable. À
chaque pas, une autre partie de la forêt semblait émergée autour d’elles.
Alodie dirigeait Linn des deux mains. Son instinct la guidait. Personne n’était
aux commandes.
Elles avaient l’impression d’avoir couru des heures, tourmentées par le
craquement des buissons et quelques grognements sauvages et humides. Pas une
seule seconde Alodie ne pouvait réprimer le frisson qui lui parcourait la nuque. Elle
se sentait épiée, sans cesse, sans jamais parvenir à déterminer par qui. Ou par quoi.
Elles étaient obligées de s’arrêter très régulièrement. Linn les ralentissait et avait
besoin de se reposer. Ou bien elle s’écroulait avant qu’Alodie ne puisse la retenir.
Cette fois-ci, la blessure à sa main avait saigné à travers le tissu qu’elles avaient
Elle avait déjà observé des cochers abattre
des chevaux auparavant. C’était toujours
triste de voir la confiance dans leurs yeux.
Mais elle pouvait ranger ça dans un coin de
sa mémoire. En revanche, la vision des corps
qui s’agitaient près des chariots, et leurs
mouvements de marionnettes... ça, elle ne
pouvait pas l’oublier.Enroulé en guise de pansement.
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Linn méritait au moins ça.
Alodie lui tendit la main pour l’aider à franchir quelques racines difformes.
« Quand ils viendront pour ta deuxième main, je te ferai signe. »
Linn la transperça du regard, le visage pâle de tristesse. « Tu n’as pas le droit de
plaisanter là-dessus. »
Alodie était allée trop loin. Ça ne faisait même pas encore une nuit.
« Pas avant que j’en rigole moi-même quelques fois », grimaça Linn. « Idéalement
en public. »
La forêt était encore plus silencieuse. Prudemment, elles s’installèrent dans une
marche lente. Une allure commune.
En une heure, elles n’avaient entendu aucun bruit de poursuivant ni rien vu
de vivant. Le bois semblait plongé dans un profond mutisme, et aucun signe
n’annonçait la fin de la nuit, ou de la forêt. Elles frissonnaient toutes les deux.
Dans le lointain, Alodie entendit un son qu’elle reconnut. Celui d’un cheval
mourant, hennissant, la gueule encore pleine de liquide. À mesure qu’elles
approchaient, elles remarquèrent que son ventre avait été ouvert Linn détourna le
L’horreur des manigances de sa famille
la frappa de plein fouet. Alodie savait
que leurs affaires avaient fait des
victimes. Mais elle ne pouvait pas
concevoir de justification humaine
pour vendre des gens à cette chose.
L’argent ? Une protection contre sa
faim ? Un engagement séculaire ?
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regard, se couvrant le visage de son bras valide.
Alodie s’arrêta pour l’aider à s’appuyer contre un chêne, et se mit à fouiller
l’endroit où le cheval était tombé. Elle revint avec une torche et une boîte à silex,
puis prit Linn par l’épaule. « Est-ce que tu vas... ? », demanda Linn, sans terminer
sa question.
Alodie resta silencieuse. Puis elle les éloigna toutes les deux rapidement.
Elle avait déjà observé des cochers abattre des chevaux auparavant. C’était
toujours triste de voir la confiance dans leurs yeux. Mais elle pouvait ranger ça dans
un coin de sa mémoire. En revanche, la vision des corps qui s’agitaient près des
chariots, et leurs mouvements de marionnettes... ça, elle ne pouvait pas l’oublier.
Si un animal mourant se trouvait ici, et faisait encore du bruit, il pouvait s’agir
d’une diversion. Ce qui les traquait pouvait aussi traquer autre chose.
Elle changea de direction à l’opposé de leur chemin, poussant Linn à avancer
vers le sud. Ou plutôt ce qu’elle espérait être le sud, les arbres étant trop denses
pour laisser entrevoir les étoiles. Le sol humide et granuleux commençait à céder
sa place à des rochers et des morceaux de granite qui égratignaient ses bottes. Linn
trébuchait encore plus souvent, sa respiration s’alourdissait et elle marchait la
tête basse. Alodie, elle-même, vacillait parfois. Elles avançaient dans l’obscurité à
un rythme de paresseux, mais la forêt de Souffrebois se dégarnissait légèrement,
jusqu’à ce qu’elles faillissent heurter un mur.
Elles s’appuyaient contre un granit froid et moussu. L’entrée d’une caverne
s’ouvrait à quelques dizaines de mètres d’elles. Un abri.
Alodie fut traversée par un sentiment de soulagement. La sensation constante
qu’elle avait d’être observée s’estompa.
Alodie posa la torche sur des rochers secs, et se pencha dessus avec la boîte à
silex ouverte. Elle se mit à frapper le silex contre l’acier, puis à souffler sur une
petite quantité de poudre informe. L’exécution était maladroite et imparfaite, mais
elle n’en était pas à son coup d’essai. La torche s’enflamma subitement.
« Tu n’es pas sérieuse », commença Linn. Elle frissonnait. Son intonation relevait
d’une interrogation plus que d’une exigence. Elle voulait se tromper.
« Tu penses qu’on devrait se contenter de marcher jusqu’à épuisement ? On sera
plus en sécurité si rien ne peut nous prendre par surprise », conclut Alodie, qui fit
signe à Linn d’avancer.
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Elles s’enfoncèrent alors dans la grotte, la torche brandie au-dessus de la tête
d’Alodie, se frayant un chemin le long des parois du souterrain en tâtonnant. Une
zone dégagée, un endroit où passer la nuit, c’est tout ce dont elle avait besoin. Elles
se dépêchaient, puisant leur vigueur dans cette forme de seconde chance,
la torche en guise d’étoile polaire. En avançant, Alodie sentit la torche frotter
contre le plafond de la grotte. Elle voulait la tenir bien haut pour éclairer le plus
loin possible.
« Combien de temps allons-nous continuer comme ça ? », demanda Linn,
haletante. La peur laissait place à la douleur.
Alodie avait la gorge si sèche qu’il lui fallut l’éclaircir deux fois avant de pouvoir
répondre. « On va aller suffisamment profond pour qu’il soit difficile de nous
en sortir. On doit trouver une zone dégagée, d’où l’on pourra garder un œil sur
l’entrée. » Alodie n’avait aucune certitude. Elle voulait juste en donner l’impression.
« Je monterai la garde quelques heures, en prenant soin de garder la torche allumée.
Pour que tu puisses te reposer. »
Elles laissaient derrière elles les parties du souterrain éclairées par la lune.
Les parois de la grotte étaient humides et mouillées, la roche dissimulant parfois
quelques perles d’humidité qui faisaient glisser ses mains. Alodie appréhendait de
dormir à même le sol. Mais elles devaient survivre. Linn devait survivre.
Un bruit de raclement contre les parois de la grotte retentit derrière elles.
« Shhh, » Alodie orienta la torche vers l’arrière, scrutant la zone du mieux qu’elle
pouvait. Elle ne vit rien à proximité dans la pénombre. Mais le son provenait du
chemin qu’elles avaient emprunté.
Elles reculèrent, se précipitant dans les profondeurs de la grotte, le long du
couloir souterrain. Au-devant, celui-ci se divisait en deux embranchements.
Alodie les dirigea vers la gauche, s’assurant que Linn soit devant elle, et la
poussant presque pour garder le rythme de leur avancée.
Mais le dédale se complexifiait dans l’obscurité. Alodie les mena jusqu’à un
virage, et prit à droite, réalisant finalement que le chemin prenait la forme d’un
coude. Le tracé de la grotte les faisait revenir sur leurs pas.
Un son semblable à celui d’une hache percutant la roche résonna en écho dans
la caverne.
Tout son corps était paralysé par la peur. Alodie resta immobile, se contentant
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d’indiquer à Linn de prendre le passage de droite. Elle ne pouvait pas faire plus. Linn se tourna pour la regarder. Puis elle regarda à nouveau devant elle, et commença à s’enfoncer dans le couloir à pas hésitants. Elle voulait croire qu’elle ne finirait pas comme le cheval agonisant.
La chose ne pourrait pas les cerner toutes les deux. Alodie prit l’autre passage.
Elle brandissait la torche aussi haut qu’elle le pouvait, la serrant des deux mains, en prenant soin d’éviter les parois humides. Elle redoutait de poser les yeux sur la chose qui avait détruit le carrosse. Mais elle le devrait, si elles comptaient avoir une chance de s’en sortir.
Pendant quelques secondes, Alodie pouvait encore entendre la respiration de Linn, avant de trop s’éloigner. Il n’y avait plus de grattements, plus de bruits métalliques. Elle allait tomber sur la créature, ou bien ce serait Linn. Alodie suivaitle nouveau chemin à la lueur de la torche. Elle marcha jusqu’à ce qu’elle remarque que les gouttelettes perlant sur le mur avaient changé, et s’arrêta une seconde pour les observer.
Elles scintillaient, reflétant quelque chose de plus rouge que la lueur de sa torche.
Alodie se détourna du mur. Une engeance démoniaque la regardait en retour.
Des tentacules jaillissaient de son torse, comme des cordons ombilicaux. De sa gueule aux lèvres noires émergeaient des canines et de bien trop nombreuses langues, chacune encerclée de rangées de dents semblables à celles d’un requin.
Ses yeux étaient des gouffres sans pitié, loin d’être dépourvus d’intelligence.
Trop affutés. Trop humains. Des brocarts raffinés qui auraient été élégants il y a un siècle s’accrochaient en lambeaux à sa taille. Elle avait vu des vêtements similaires chez la mère de Boyce, légués par les grands-parents de ses parents.
L’horreur des manigances de sa famille la frappa de plein fouet. Alodie savait que leurs affaires avaient fait des victimes. Mais elle ne pouvait pas concevoir de justification humaine pour vendre des gens à cette chose. L’argent ? Une protection contre sa faim ? Un engagement séculaire ?
Désespérée, Alodie agita le flambeau vers la créature. Le feu était l’arme de la lumière. Elle l’agita amplement à deux reprises, puis se jeta en avant, pressant le flambeau contre la monstruosité, essayant de garder autant de distance que possible.
La chose ne hurla pas ni ne recula lorsque les flammes crépitèrent sur son visage. Elle se contentait de la fixer d’un air sournois. Puis elle balaya la torche d’un revers et arracha la gorge d’Alodie avec ses crocs.
Cette dernière tomba au sol lentement, comme une pierre coulant au fond d’un étang. Elle haletait, incapable de faire circuler l’air là où il devait aller.
À la lueur vacillante de sa torche abandonnée, Alodie pouvait voir Linn boitiller de l’autre côté du couloir.
La créature se retourna, déploya deux de ses tentacules comme des fouets, et Linn s’écroula en hurlant.
Les tentacules la tirèrent vers le monstre, qui se pencha sur le corps pour se nourrir.
La tête d’Alodie reposait dans une mare rougeâtre et gélatineuse. Tout son corps était engourdi. Elle essaya de se tourner, mais en était incapable.
Les ténèbres furent bien trop longues à l’emporter.
Enfin. La proie avait pris son temps pour se nourrir. Elle était distraite.
L’abomination avait observé les deux survivantes du chariot traverser la forêt bruyamment. À l’entrée de la caverne, la plus grande d’entre elles avait agité sa torche, signalant leur présence.
L’abomination aussi avait observé sa proie. Un vieux vampire, drapé des lambeaux de sa richesse passée. Rusé, il partageait sa chasse entre les habitants.
La femme aux cheveux blonds, quant à elle, avait semblé... orgueilleuse.
Arrogante, même. Et pourtant, il l’avait vue lutter contre ses instincts.
Connaissant sa cruauté, l’utilisant parfois et s’en détournant d’autres fois dans une égale mesure.
De Port-Royal, restant discret, faisant du commerce d’esclaves, et propageant ainsi plus rapidement sa malédiction.
Le vampire était animé par ses pulsions. Il ne connaissait pas la retenue,
n’acceptait pas le refus. Il traquerait les survivantes.
Il était agile. L’abomination n’avait pas voulu combattre à terrain découvert.
Mais les deux survivantes avaient trouvé refuge dans une grotte, et s’étaient prises au piège elles-mêmes. Elles avaient offert une opportunité.
L’odeur du sang exhalait de l’entrée de la grotte.
Celle-ci ramena Zebediah à lui-même.
Il était grand, avec un nez crochu et de longs cheveux blancs comme des nuages qu’il laissait flotter librement. Son visage était large et carré, lisse et pâle à l’exception du signe le plus évident de la malédiction : des yeux rouges enfoncés, cernés de veines noires en forme de toiles d’araignée.
Zebediah portait une armure polie, assez ornementée pour venir d’une ancienne cour de Kehjan, avec des plaques écarlates brillantes disposées horizontalement le long de l’abdomen. Une ampoule attachée à une chaîne était fermement fixée au gorgerin de son armure, le flacon rempli d’une eau bleu vert provenant de la rivière où il avait failli rendre son dernier souffle, acculé par des créatures qu’il avait pensé pouvoir vaincre seul. Épargner les autres, voilà ce qu’il considérait comme le plus grand bien lorsqu’il était encore semblable à un enfant.
Son équipement imposant était inhabituel pour une traque dans Souffrebois, pour quelqu’un qui espérait se déplacer rapidement et silencieusement dans la forêt. Pourtant, pendant des décennies, il avait été appelé au service de l’Annulet comme l’un de leurs chevaliers de sang. Il lui était difficile de changer ses méthodes ; elles étaient devenues indissociables de son serment.
Tout ce qui reste de ma vie opposée aux ténèbres.
Chaque fois que son périple lui semblait impossible, il s’en remettait à son serment. Peu pouvaient le dire, mais dans la souffrance comme dans les dilemmes, il l’avait respecté. Zebediah avait abrégé les souffrances de camarades frappés par la malédiction et éliminé la putréfaction chez les innocents avant qu’elle ne se propage. Sa seconde vie n’était toujours que monstruosité. S’y résoudre et rester soi-même nécessitait d’avoir une âme glaciale. Inflexible.
Zebediah murmura quelques syllabes qui s’évanouirent dans l’air de la nuit. Les ténèbres l’enveloppaient comme une brume, étouffant le son de ses bottes sur la pierre.
Les cris provenant de l’intérieur de la caverne avaient cessé, mais Zebediah pouvait toujours entendre les croassements rauques du vampire qui se nourrissait.
Il s’empressa de traverser la caverne, n’ayant besoin d’aucune lumière pour s’orienter.
Le couloir se rétrécit, tandis que le raclement devenait de plus en plus fort à ses oreilles. Près d’un virage, il aperçut enfin le vampire, penché en avant, ses tentacules enveloppant l’une de ses victimes, accrochés à son corps comme une douzaine de lamproies.
Zebediah n’avait pas prévu que l’une des victimes du chariot puisse survivre, pas même ces deux dernières. Mais si leurs morts pouvaient lui donner le moindre avantage contre le vampire, il avait bien fait de patienter et d’observer. Rien n’était plus important que de mettre un terme à cette menace.
Zebediah pouvait dissimuler son approche, mais pas son odeur. Le vampire se tourna vers lui, se redressa d’un bond et siffla avec une bouche pleine de langues déchiquetées.
Une lance noir pourpre d’ombre solide se matérialisa dans la main de Zebediah, et il la lança de toutes ses forces. Avant que le vampire ne puisse y échapper, la lance se planta solidement en plein dans sa gorge. Ses tentacules se dressèrent, luttant pour arracher l’ombre qui dévorait sa chair froide.
Quelque part en Zebediah, la malédiction se réjouissait à la vue de sa proie blessée. Il la réprima tant bien que mal.
Zebediah avança d’un pas lourd vers le vampire, les genoux fléchis, tenant sa longue lance dans ses mains gantées. Il ne voulait pas sentir le sang pourri qui s’écoulait de ses blessures ; il devait le tuer rapidement, avant qu’il ne puisse se régénérer. Il poignarda, perça deux trous rapides dans sa poitrine, et tendit tout son corps pour asséner un coup puissant à deux mains.
Mais quatre tentacules dentés s’enroulèrent autour de la gorge et des bras de Zebediah, déchirant sa chair.
Il n’avait jamais connu de douleur aussi dévastatrice. Les centaines de petites dents du vampire créèrent des blessures béantes qui brûlaient, se propageant comme un feu dévorant son corps.
Tandis que les tentacules du vampire se resserraient, la lance de Zebediah échappa à ses mains. Il sentait son corps se déchirer.
Les tentacules se rejoignirent au milieu de son corps. Zebediah se liquéfia dans une mare de sang.
Le vampire marqua une pause, sifflant et agitant les bras en tous sens. Il s’avança lentement, ses tentacules sondant l’air comme des doigts. Puis il se tourna de nouveau vers les corps de ses victimes, rappelé par son insatiable soif.
Une flaque cramoisie se mit à bouillonner derrière lui, une masse informe semblable à un corps. La longue lance de Zebediah s’éleva avec lui, serrée dans sa main qui se reformait doigt par doigt. Il reprenait forme humaine tandis que le sang glissait de la masse informe, et bondit dans le dos du vampire.
Zebediah essaya de ne pas regarder alors qu’il perforait le monstre, encore et encore. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Trois trous. Quatre. Cinq. Il y avait quelque chose de captivant dans leur symétrie, dans les éclaboussures parfaites d’ichor noir-rouge qui le recouvraient. Il frappait avec délectation, mortifiant son ennemi, encaissant des coups qu’il remarquait à peine.
Jusqu’à ce qu’un des tentacules griffe l’amulette que Zebediah portait autour du cou et libère la chaîne du gorgerin. Ce vampire avait déjà eu affaire à un chevalier de sang par le passé. Il savait.
Zebediah s’effondra au sol, rattrapant sa précieuse amulette quelques secondes avant qu’elle ne se fracasse sur la pierre. Les membres du vampire l’enveloppèrent, mais c’était la malédiction qui le maintenait véritablement captif. La peau de Zebediah s’étira et se transforma ; il se résigna, se métamorphosant en une masse de muscles écorchés et de sang pour rivaliser avec le vampire en force et en soif de sang.L’abomination déchira la proie en deux, arrachant des tentacules et un bras putréfié, grâce aux griffes vermeilles de sang que ses mains étaient devenues.
La proie était couverte de sang visqueux, et se tortillait dans tous les sens, essayant de s’échapper. Mais la fuite était impossible.
L’abomination balança ses coups avec fureur, encore et encore, sans la moindre pensée de répit.
Zebediah secoua la tête comme un chien. Ses mains lui lançaient de douleur. De toutes les grandes distractions qui l’empêchaient de se perdre, la douleur était celle qui lui apportait le plus grand discernement. Il avait détruit la paroi de la grotte, l’ayant frappée si souvent qu’un cratère d’un mètre de profondeur s’était formé dans la pierre.
La moitié de la chair écorchée du vampire se trouvait à ses pieds. L’autre moitié avait disparu.
Des traces de sang menaient à l’extérieur de la grotte. Il avait réussi à s’enfuir.
Zebediah siffla entre ses dents, et se tourna vers le mur pour le frapper à nouveau. Le vampire était plus rapide que lui ; et il le savait. Il pouvait toujours essayer de le traquer. S’il partait maintenant, peut-être que...
L’un des corps des femmes au sol tressaillit. Puis, quelques secondes plus tard, l’autre aussi. Encore.
À l’unisson.
Qui étaient-elles dans leur ancienne vie ? Des sœurs peut-être ? Des amantes, à en juger par la façon décontractée dont elles se parlaient ?
Il était venu ici pour tuer le vampire. Pour empêcher sa malédiction de se propager.
Et elle s’était pourtant répandue, à cause de ses choix.
Son manque de maîtrise.
Sa malédiction, qui remontait à bien avant qu’il ne prenne la lance.
Quel était le plus grand bien ? Les meilleurs choix ?
La plus petite des femmes aux cheveux bruns était adepte de sensations fortes, avec un sens du bonheur qui lui aurait bien servi. Elle pensait avoir de la valeur, même si le monde n’en croyait rien.
La femme aux cheveux blonds, quant à elle, avait semblé... orgueilleuse.
Arrogante, même. Et pourtant, il l’avait vue lutter contre ses instincts. Connaissant sa cruauté, l’utilisant parfois et s’en détournant d’autres fois dans une égale mesure.
C’était un début. Il posa la lance et l’amulette sur le sol et s’agenouilla devant elles.
Alodie frissonnait. Elle frissonnait de tout son corps. Elle aspirait à bouger, à se libérer de ses pensées et de son esprit, chaque membre s’animant de sa propre volonté. Sa vision paraissait enfouie, comme une minuscule lueur dans l’obscurité.
Des visions dérivaient autour d’elle. Un homme aux cheveux blanc, dont l’armure magnifique était maculée de sang.
« Tu vas mourir, », dit-il, d’une voix neutre, ni cruelle, ni bienveillante. Son accent était étranger, n’son élocution plate et rapide. « Tu as été souillée. La transformation sera pire que tu ne peux l’imaginer. »
Il tenait un petit flacon rempli d’eau verdâtre au-dessus d’elle et en retira le bouchon. Dans la brume et l’obscurité, ses mouvements paraissaient fluides et lents à la fois. « Je peux t’aider à trouver la paix. »
Elle voulait acquiescer. Mais sa volonté ne suffit pas à produire le moindre mouvement.
« Ou je peux te donner du temps. Des années. Des décennies. Peut-être plus. »
Alodie avait l’impression que son corps dérivait, quelque part, loin. Elle pouvait à peine entendre ses paroles. Mais elles retenaient son attention.
Il poursuivit, d’une voix toujl’rs plus intense. « Ce ne sera pas facile. Tu t’entraîneras, et tu chasseras. Et tu mourras en monstre, plus misérable encore que celui qui a pris ta vie. Ta fin ne sera pas rendue meilleure par les démons que tu as tué », ni par le bien que tu as fait ».
Le bien que tu as fait. Elle essaya de regarder autour d’elle où se trouvait Linn.
Sans succès.
Quelques paroles impérieuses la transpercèrent. « Si tu veux t’éveiller pour cette vie, alors prête serment. Prête serment sur ton sang. »
Alodie ne pouvait ni parler ni bouger. Elle laissa ses yeux lui répondre.
Le rituel fut précipité. Chants et ablutions avec le contenu du flacon, l’obscurité de la grotte enfonçant ses doigts dans les yeux d’Alodie comme une entité vivante. Elle sortit de l’inconscience et y sombra, tour à tour, parlant, écoutant, ne se souvenant que de fragments.
Se tenir debout s’avéra être un effort, mais elle tint bon. Elle prit une profonde inspiration, fit courir sa langue sur ses dents. Normales. Elle prit son pouls. Son sang affluait toujours. Elle regarda l’homme aux cheveux blancs assis en tailleur à quelques mètres d’elle.
Entre eux se trouvait une petite flaque de rosée. Alodie réalisa qu’elle pouvait voir dans l’obscurité. Naturellement, comme elle l’avait fait tant de fois, elle vérifia son reflet.
La blessure à sa gorge était une vilaine suture » Ses yeux scintillaient comme la lumière à travers des rubis. Ils étaient cerclés de petites veines à la couleur de terre de sépulture.
Elle ressentit la douleur d’un changement irréversible, mais l’accepta. L’essentiel était de vivre. Et puis...
Linn se redressa comme si elle avait été traînée. Ses bras pendaient mollement le long de son corps. Son visage était blafard. Des épines transperçaient la peau de son cou et de ses bras. Un bruit guttural et animal s’éleva de sa gorge.
Étrangement, Alodie se sentait plus faible que jamais.
« Ce que tu m’as fait », dit-elle à Zebediah, en trébuchant sur les mots. « Fais-le pour elle. Il le faut. »
Zebediah secoua la tête. « Son état est trop avancé. Ce sera bientôt un rejeton du vampire. Je suis désolé. Je n’avais le temps d’aider que l’une de vous deux. »
Il ne restait plus à Alodie que le bien qu’elle pouvait accomplir. C’était ce qu’il avait dit. C’était la promesse.
« Si... Si nous tuons le vampire, est-ce qu’elle... » Sa voix lui semblait plus rauque que dans ses souvenirs, comme si sa gorge n’avait pas guéri correctement.
Zebediah l’interrompit. « Une fois que la transformation s’enclenche réellement, il n’y a plus moyen de l’arrêter. »
Alodie se sentait mal. Les larmes vinrent à ses yeux sans qu’elle puisse les retenir, ces écoulements qu’elle avait toujours jugé inutiles.
« Pourquoi moi ? Pourquoi tu ne l’as pas choisie ? »
Zebediah détourna le regard. « Notre chemin est difficile, et tu dois savoir qui tu es pour le parcourir. Oublie qui tu es, ne serait-ce qu’un instant, et il n’y a pasde retour possible. » Ses yeux étaient empreints d’un air lointain lorsqu’il tournaà nouveau le regard vers elle. « Je perçois cette résolution en toi. Toi, au moins, tu auras une chance. »
Elle s’approcha de Linn, qui se tordait comme les corps de marionnettes du chariot, essayant de s’approcher d’Alodie avec des bras et des jambes qui refusaient d’obéir, produisant des sons qui ne ressemblaient en rien à des mots.
Alodie fixa ses yeux, observant ses pupilles alors qu’elles se coloraient de rougeet s’étendaient pour finir par en éclipser les blancs.
Linn ne pouvait pas lui répondre. Et rien ne valait la peine d’être dit juste pourelle-même.
Le somptueux ascot bleu et or autour du cou de Linn était taché au point d’enêtre méconnaissable. Alodie défit lentement l’ascot, le passa par-dessus sa tête et le noua autour de son cou, couvrant ainsi la cicatrice. Ce serait sa propre amulette.
Elle se retourna vers Zebediah, et ne demanda rien. Mais ilaccepta quand même, et lui tendit sa lance.
Alodie la pointa sur le cœur de Linn, et attenditun semblant de réaction de sa part, peut-être que ses yeux reflètent une confiance passée.
Heureusement, il n’en fut rien.
La confiance.
Alodie ferma les yeux et laissa son instinct faire le reste.
En V.O :
Instincts
A SHORT STORY BY RYAN QUINNStory
Ryan QuinnIllustration
Sangsoo JeongEditorial
Chloe FraboniLore Consultation
Madi Buckingham, Ian Landa-BeaversCreative Consultation
Mac Smith,
Sebastian StępieńProduction
Brianne Messina,
Carlos RentaDesign
Corey PeterschmidtSpecial Thanks
Otis Blum, Justin Dye, Scott Shicoff, Matthew Berger, and the Diablo
Immortal team—past and present—for unleashing new blood on Sanctuary
© 2023 Blizzard Entertainment, Inc. Blizzard and the Blizzard Entertainment logo are trademarks or registered trademarks of Blizzard Entertainment, Inc. in the US or other countries.Instincts
Twilight in eastern Kingsport was when everyone around started to vanish.
Alodie was used to it, the sudden way the city got inhospitable, but she was no less bothered for the familiarity.
She walked with purpose as she traversed the street, more an outdoor tunnel, really, the cramped path sloping endlessly down in the dark. On either side were sodden old wood homes, divided and divided again until it was impossible to chop them any smaller. Then they were just lean-tos, hovels for the wretched and the poor.
Mewls Avenue’s dwellings hid it well from everywhere else. At least Alodie could smell the ocean here, though she couldn’t see it. Shouts and curses carried from the docks. Most corners were dead ends. Sad fish gagged their last somewhere out of sight. It stunk.
One saving grace for Kingsport’s slums : nobody much cared what you were doing.
She followed her cousin along mold-flecked cobbles, keeping a body’s distance.
“Hurry up,” Boyce muttered, walking faster, not looking back at her, still not saying where they were headed.
Boyce was older and gaunt, deeper in the blood, with a nose so proud it served as his face from most angles. His coat was big enough to hide a broadsword. Alodie had fair and fine hair bound up tight. She’d put her ugly gloves on. They were dressed to settle someone.
Out of all the things she did for the family in Kingsport, she liked settling people the least.
Organizing was tense work. Preparing the coachmen for a delivery, making sure they knew which crates to open and which ones to keep sealed, and how much to bribe the watch if they got caught . . . Alodie was good with details, but too many left her exhausted at the end of a day. Even so, her allowance was decent.
And while shipping manifests were mindless, Alodie could skip out if she finished fast enough. She cut through the dullness by making her nights more memorable.
Earlier in the year, she and Linn had gotten dead drunk and wrote “ALMS” in cow’s blood on the leather hood of one of the family’s carriages.
The carriage looked pristine the next morning. Nobody was punished ; nobody even mentioned it. Alodie amused herself for hours just imagining Boyce’s old mother, the matriarch herself, her face winding up like a screw, directing the washing woman to take care of it through a string of curses.
Linn had been Alodie’s only friend for far too long. Alodie couldn’t say exactly what brought them together, though she knew what kept them close : Linn had a poet’s spirit. She toiled away in her shop at all hours, but she made sure both of them always had the finest silks to wear out. Alodie envied her. At least Linn wasn’t part of the family. She didn’t have to settle anyone.
You only settled the worst kind of people. Leeches. First they got in debt, thenthey borrowed, and then they tried not to pay.
And Alodie always had to play dealmaker with a leech. Her cousins could get . . . excessive, and she needed to set the dates and the amounts and assuage the leech’s fears while the boys stomped around and made a mess. Help the leeches help themselves before they got hurt. Even if most of them deserved to get hurt.
The whole practice—the need for it—was shameful. Why weren’t people just better ?
Boyce led the way down Nogarden. They were turning angles every few seconds as a maze of wood and stone choked the path around them. If anyone was looking, Alodie couldn’t see them for the grime coating the windows. It made sense, people leaving them filthy. Despicable things happened on the other side.
Alodie was lost and a little nauseated. She tried Boyce. “Who’s the leech ?”
Boyce didn’t look back or even acknowledge her question, as usual. He disappeared around a corner.
Rounding it, she saw her cousin fussing with whatever was under his coat. Boyce had finally, blessedly, come to a stop in front of the door to a squat brown row house, one she—Alodie forgot the thousand annoyances that had strangled her attention all evening. Her heart and her guts dropped through the cobbles. Panic clawed her fingers inward.
The sign for Linn’s shop creaked back and forth in the evening breeze.
Boyce smiled at her. His teeth were dingy.
“Toughen up, little sprite,” he said. “Indulge the instincts. This’ll go quick.”
Then he turned and kicked the door open.
“How could you be so stupid ?” Alodie screamed at her only friend.
Alodie was glad she couldn’t see herself. She knew what she must look like. Spit flying, veins protruding in her neck and forehead, face flushed to full claret. A real grotesque.
They’d tied Linn to a chair in her shop, bound her hands together behind it, then tipped it over, pressing her against the ground. Just to keep her scared. The place was already a muddle. Heaps of wool and rabbit fur surrounded a loom on the back wall. Leather hanging in uneven strands ; jars of clumpy dyes on the lone desk ; straw everywhere on the floor. The ceiling was low and saggy enough to dump the upstairs tenants on top of them.
Opposite the clutter, in an open dresser, sat yards of fine silk, neatly folded.
Alodie pointed at the silk. One of the family’s deliveries. She swept her finger around the room. “We gave you all of this. The only thing you needed to do was pay on time.”
Linn couldn’t stop her tears. Her tiny face was apple-shaped, and the crying made it seem smaller. An intricate blue-and-gold ascot wound around her neck, she’d pampered her short auburn hair with rose powder and wax she’d stolen from the tanner. Alodie knew that for certain ; she’d been the lookout.
The expression Linn wore was fully pleading. Good. It meant she’d be amenable.
Alodie put a hand on the chair, as if to stand her up. “If you can just get us two hundred back in a month—”
Boyce interrupted. “Can’t keep a promise, don’t make one.” He was a boor, and he sounded like it.
Immediately, Linn’s face went defiant. As defiant as she could be with all seven stone of her crushed into the ground.
“Sard yourself, pinch-nose,” she spat. “I hope your mum’s cats eat her eyes and demons eat the cats.”
Linn was never a boor. She had a point too : Boyce’s mother was awful.
Boyce didn’t say anything, just opened his coat and brought out a twin-head hammer. He put it through the dye jars one at a time, sprinkling glass and cobalt colored pulp throughout the shop. Linn screamed. Alodie covered her eyes when the glass flew, checked for cuts when it stopped, didn’t feel any.
Then Boyce was stuffing a rag in Linn’s mouth, flipping the chair upright, and heading to the desk with his hammer.
“Stop,” Alodie shouted, loud, before he could do something else ugly.
“And what do I get if I stop ?” Boyce said, waving the hammer. He looked back and forth between the two of them, like he was their problem to solve.
They used it to keep her down, when they knew full well she could run the whole operation.
So they said she lacked a hunter’s instincts. A killer’s.
Alodie glanced at Linn’s face : cheeks flush, eyes big, brows stretched up. Terrified.
“She won’t just pay it back. She’ll give you an extra hundred gold, on the side, when it’s done. For your trouble. In a month. Right, Linn ?”
Linn nodded. In settling, this was progress. One show of force, and—Boyce took a long, deliberate step toward Alodie. He had a tight grip on the hammer.
“I don’t think she’d learn from that. I think”—he drew out the wait—“that’s
undeserved leniency.”
Alodie’s heart was pounding. Hopefully nobody could see it on her face. Now she had to settle both of them.
“All right,” she said. “Linn pays in two weeks. I’ll come pick it up. And I’ll take care of your manifests for a month.” A concession. Sometimes, concessions could be good. They showed you respected the other party.
“You really don’t have the instincts,” Boyce said, flexing his fingers around the hammer. He almost sounded sad.
His mother spoke fondly about the instincts, so Boyce did too. They used it to keep her down, when theyknew full well she could run the whole operation. So they said she lacked a hunter’s instincts. A killer’s.
But Alodie had them. She’d proven it.
Up to a point.
“I think, if she’s going to take our livelihood, we should take hers. That makes sense.” Boyce turned, raised his hammer, and looked down at Linn, scrunched under the chair.
Linn shrank back, moaned something around the gag.
“Please,” Alodie said.
Boyce held on to the chair to steady it.
Alodie knew what he was thinking. The instincts took over.
“You’re an imbecile. If you break her knuckles, how exactly do you expect her to come up with the coin ? She’ll—”
He brought the hammer down, hard.
Linn thrashed around under the chair. Everything she tried to say was wordless inchoate nonsense. Not just because of the gag. Because she couldn’t help herself.
Because it hurt too much.
She was shivering and drooling as Boyce pulled the chair up and unfastened her wrists. Linn’s right knuckles were crushed to pits, blood flowing up everywhere—under the nails, in the ragged little rents splitting her skin. She rocked back and forth, cradling one arm in the other.
Alodie didn’t want to see. She made herself stare at Boyce—who, beyond a little sweat, didn’t look like he’d done much of anything at all.
“Now we’re getting nothing,” Alodie sneered at him, hateful as she felt. “Less than nothing, you idiot.”
Boyce just shrugged. “She’ll pay. Got a faster way to make it back than a couple
weeks’ work.” With one hand, he pulled Linn toward the door. She was still wailing behind the gag.
His nonchalance made Alodie cold. “Where are you taking her ?”
What was he thinking ? Selling her to a prize house ? Selling her into labor ? With her hand ruined like that ?
Boyce ignored Alodie again. “She’s not your problem anymore.”
Then he kicked a rucksack at her feet. Straw swirled in the air. “Get the silk, take anything else worthwhile, and go home. We’ll talk tomorrow.”
Alodie’s face burned red. She should stop him. Hit him. Do something.
But he was deeper in the blood.
Linn didn’t take her eyes off Alodie as Boyce dragged her from the shop.
Alodie went through the slums like she was ripping out a stitch. Slow. Backward.
Feeling more than she’d wanted.
She’d never bothered to help a leech when settling didn’t work. But Linn wasn’t a leech. Or at least, not an ordinary leech.
You didn’t praise a leech’s talent to your family. You didn’t invite her to the table to deal.
When a leech did well for herself, the two of you didn’t storm the upper district, dressed better than the gentry. Wantons and troubadours didn’t fawn over you. Your nights didn’t go so deliciously late the sun was scared to show its face.
You didn’t promise a leech you would watch out for her. And she didn’t promise you the same.
Maybe Linn thought she would get special treatment from the family because they were close. MaybeAlodie had let her think that.
So she stayed farther behind Boyce this time, out of sight, leaning against the
chophouses around Mewls until the slums went straight again. Alodie walked a scattered way ; a drifter, not a hunter. When Boyce met up with a few more night-shapes and they shoved something dark and bundled onto a cart, Alodie picked up her pace just barely. A drifter with purpose.
Her cousin’s cart rolled over the filthy cobbles, west and north. Four figures and a cart : a prelude to a shipment. Their evening would be bigger than Linn.
But they were headed away from the docks. At least they weren’t shipping her to Bilefen.
Alodie followed Boyce’s crew for an hour without stopping, out of the always yawning north gates with their flamboyant blue-green banners, and onto the trail roads. She crept in the dark, with no more slums to hide her, starting at every owl sound. The little dots of their torches led her off the trail and toward the woods,
where the smell of the sea fled for rich, rotting earth.
Then she waited. Gave them a few minutes to get ahead before she started moving. Alodie had a fairly good idea of where they were going.
The family kept a coach stop miles out of town, in the thinnest part of the Solterwood, for swapping riders and cargo before starting on new trips. Alodie had made the walk there more than once.
The stop was well hidden, right where the tree canopy started to get thick. Boyce
dusted his hands behind a big four-wheeled carriage ; two other carriages sat yards
beyond. All three were hooded in plain leather, open-backed but dim inside, their
cargo concealed.
Alodie could hear their horses huffing and stamping, and muffled chatter between the coachmen. She crouched low to the forest floor, hands down in the worms and moss and scat. Shrubs and brambles pried at her skin.
Boyce and his crew, squash-head Lachlan and two other thick-necks, turned and shuffled toward her in the dark, toting weighty clubs and torches that doubled as clubs. Some of the family’s people had come over from the knife gangs, she remembered.
They were grim-faced and dead quiet to a one. Usually, a handoff brought out some ill humor. Talk about how they’d spend the money, if nothing else.
And they walked faster than they had on the way up, their heads swiveling about like gophers. As if they wanted to put the place behind them.
Alodie bit her tongue hard. She felt the throb of new pain as they brought their torches closer and closer. To illuminate the night. To find her hiding in a bush.
She looked at Boyce. Really looked at him. He was deeper in the blood, but he wasn’t invincible. His eyes were mostly black pupils, soft and supple jelly all.
His throat narrow and bare enough to crush. If only she’d thought to bring a sap, a sharp stick, even a gloveful of broken glass from the shop floor.
He walked right at her. Alodie tensed her fists, bent at the knees. If they found her, she’d wish she’d struck first.
And then what ? Get her knuckles crushed. Get sold into labor. Boyce had been absolutely right : She didn’t have the instincts. She was pretending.
Or she wasn’t listening hard enough. He was distracted. Letting him ignore her, letting him get away with it—that was an opportunity. The instincts knew.
Soundlessly, Alodie sunk closer to the undergrowth.
The crew marched past Alodie’s hideaway, swift and determined. Their torchlight receded from view. She found herself swaddled in enough shadow to breathe. Ahead, three carriages creaked, kicking up soil and dirt in their wake, lead horses tugging them forward at the crack of a whip.
Step out too fast, and the family would see. But if the horses got up to speed, she would never catch them.
Keeping her eyes off Boyce’s crew, imagining them still withdrawing with their backs turned, Alodie crept to the closest carriage. She held her breath tight, begging herself not to cough as equine stink and forest rot washed over her.
At the front of each carriage sat a coachman, with a long horsewhip and a pair of mounted torches flanking their seat. They fussed with their whips, calling out commands to each other. Whistling. Shouting. Occupied. The lead horses started to gallop.
Maybe a good bit of the instincts was just ignoring consequences.
Alodie lunged. She got one foot on the step at the back of the carriage car and heaved herself up and in. She landed hard on her belly, felt the wind fly out of her.
Grateful for being breathless, given the hell she found.
The inside of the carriage was a portrait of misery. Bodies slumped atop one another, crushed up against the walls. Ragged gray forms taking wheezing half breaths, trussed to iron posts like coneys. A few were unshod, with their feet broken and purple at the knobs, or their hands smashed into ruins of dangling nails. Most had been blindfolded ; all were gagged. Heads lolled in stupor. Lit by tiny threads of torchlight from above, they were more like silhouettes than people.
Boyce’s mother—the whole family, Alodie included—shipped a lot of things.
Things they shouldn’t have. But this was beyond what she knew.
Alodie sucked in a breath she didn’t want.
She couldn’t stand, and not just for the sick upheaval in her stomach. The carriage moved fast. Rolling forward, the horses pulling them straight north, where the trees were denser. That route would make the Solterwood impassible on the wheel after too long. Where in the Hells were they going ?
Alodie looked frantically across the faces of the condemned, avoiding the unfocused eyes of the ones who looked back. She didn’t recognize a single one.
Probably they’d been leeches. Surely they weren’t any of her leeches.
She felt frantic then, as if she would start weeping, but the instincts wouldn’t let
her. Everything poured into the clod in her throat.
Linn lay farther in, nearly atop two other prisoners. Eyes closed, bound and
gagged. Still.
Alodie pushed herself up to a crouch. “Shh,” she whispered to the passengers, Maybe a good bit of the instincts was just ignoring consequences. putting a finger to her lips. Not really talking. Hearing her own voice talk. Tapping herself for emphasis.
“Need to get her. Then I’ll help.” Could she help these wretches ? Did it matter ?
A dull moan rejoined. From near the wall, a shuddering, pitiful inhale. Alodie
wasn’t sure they heard. Or understood.
She tried for all the authority she could fit into a whisper. “Don’t make a sound.”
Alodie inched forward, feeling every movement of her hands, trying not to touch their agonized limbs. Close to the front of the carriage, she saw Linn’s eyes flutter, and the wash of relief staggered her.
Linn’s eyes were puffy. But she looked back, and Alodie saw recognition in them.
She hadn’t been drugged, Alodie figured—the good fortune of being a late addition to the shipment. But the rag in her mouth had been swapped for a leather gag, and both her hands were bound tightly to a post.
Her right hand was a travesty, ugly purple-yellow and swollen. Broken, surely.
Beyond a healer, likely. There were a lot of bits to make a hand work.
Leaves and branches scraped along the sides of the carriage. The forest was getting denser. Alodie gingerly tried to remove the rope on Linn’s wrists. Then she’d free her feet, then get the gag. Then they would run.
As she fought with Linn’s bindings, Alodie’s hands trembled. For all that she could control them, they might as well have been someone else’s. At least the ugly gloves soaked up her sweat. But there were so many knots. No fray points. It was taking too long.
In frustration, she tried to work one of the loops over Linn’s good wrist. Linn whimpered into the gag and clenched her eyes shut, taking panicked snorts of air, each minute mounting agony.
Then Alodie heard the coachmen shouting, and the carriage started to slow. She pulled frantically at Linn’s bonds.
Meager torchlight vanished above them. Someone dropped from the coach seat onto the forest floor, squelching in the soil. Alodie swiveled to the back of the carriage, but the footfalls moved quickly around the front, followed by the sounds of horses getting unhooked. They clomped noisily away. The coachmen were running.
No one entered the carriage. Had they been abandoned ?
Linn tried to say something around the gag. Knowing her, it would be a joke about her mangled hand. Looks a beauty, don’t it ? Or maybe she would be furious.
She had every right.
Alodie got Linn’s good wrist free and yanked the gag loose.
“They ain’t shipping us out,” Linn whispered, ragged. “We’re bait.”
From outside, Alodie heard the sound of timber splintering in multiple places at once, a tumult of axe blows falling on the forest entire.
One horrified scream ripped through the air. A chorus followed.
A minute passed in the shape of an hour. The shrieking outside the carriage began to shift. Wet, low gurgling took its place. Alodie could hear frenzied scrabbling, a different, throat-shredding yell, then silence.
The instincts quailed in her. Every impulse melted into fear. Her breaths burned.
She could barely move. She mostly just trembled.
With one working hand, Linn worried at the bonds on her own feet, saying nothing. Her progress was hobbled, slower than the death that stalked them. She’d never get loose alone.
The condemned were coming to life now, glancing around sluggishly, trying to drag themselves off their posts, wringing at ropes and sweat-slick leather straps.
Alodie had to be the only person in the carriage halfway to her feet. Free to run.
Linn looked up at her, wondering. Asking. She had every right.
Linn only nodded when Alodie leaned down and got a thumb under the bonds The shrieking outside the
carriage began to shift. Wet, low gurgling took its place. Alodie
could hear frenzied scrabbling, a different, throat-shredding yell, then silence.on her feet. They worked at it together, until the slow scrape of something heavy dragging along the soil assailed Alodie’s ears. It was all she could think about while she tugged the rope over Linn’s left foot, shredding skin.
Until the front of the carriage split in half.
Wood splinters exploded around them. Alodie scrabbled backward, tugging Linn by her good arm.
The carriage tilted. Three of the condemned vanished, ripped bodily off their
posts and into the dark. Screams burst forth from everywhere at once.
Alodie caught a glimpse of ink-stained gums and rows upon rows of teeth.
A serrated red-black tendril flicked through the ruin, catching her across the shoulder. She tore herself away from it painfully, and it snaked away to drag another of the condemned out of view. Alodie didn’t look at the other prisoners, just heaved Linn forward. They scurried out over the carriage’s bent back.
Linn took a child’s steps, limping on legs numb from her bindings. Alodie’s shoulder buzzed with pain as they lurched forward, in the deep of a wood neither recognized. Behind her, Alodie could see the wreck of all three carriages, red-splattered, blood coating them thick as yolk. A chamber torch, stubbornly
ensconced and still burning, jutted atop one like a candle.
The bodies of the family’s offering were everywhere behind. Red, ropy innards trailed from them, bunched and pulled like marionette strings. All of them, dead and half-dead and not-dead, writhed in unison on the ground, matching one another’s movements, one another’s noises.
Heart pounding, Alodie pulled Linn along the loam, deeper into the Solterwood’s
shadows, as fast as the instincts would allow her.
An abomination stalked the Solterwood with blood on its claws. Slunk low to the ground, it moved like a whisper.
Trees crowded out the moonlight but could not dissuade it. Its eyes were made for the darkness.
As it had many times before, the abomination lingered on hours-old ruin : two grievously wounded corpses, the remnants of their flesh hewn by claw and fang.
What little skin remained to them was spiny, different than it had once been.
The bodies lay on ochre-stained soil. Both were still. That was important.
The abomination prodded at the bodies, then punched a hand through one. It bore down with a squelch, the corpse wooden and unmoving.
Then it loomed over the second one. Repeated.
This corpse opened its dislocated jaws wide, hissing rotten mucus from between its teeth. Like a dying insect, it flailed at the abomination with every limb. Even in this state, its strikes were brutal. The razorlike prongs poking up through its skin scraped against the abomination’s hide but could not find purchase.
The abomination twisted. With a crunch, the corpse fell still. Its eyes were
sunken, encrusted all around with red rheum. In all its frenzy, the lids had never once opened.
Rising to its feet, seeking past the sweet smoke and putrefaction, the abomination found something else. Its gaze fell on scattered tracks, trailing east to the densest part of the wood. It pawed at the dirt, stopped, inhaled.
Two more. Both blooded.
The hunt would not end here.
Shadows coiled around the abomination, and it was gone.
Alodie and Linn fled from the things in the night. The darkness was impenetrable.
More of the forest seemed to just emerge around them with every step.
Alodie was steering Linn with both hands. And the instincts were steering her.
No one was in control.
They had run for what felt like hours, harried by brush cracking and wet, ferine snarls. The hair on Alodie’s neck stood up without ceasing. It was like she was being watched, always, but she couldn’t see how. Or by whom.
Every few minutes, they’d been forced to stop. Linn would slow and need to rest.
Or she’d fall before Alodie could catch her. This time, the wound on her hand had bled through the cloth they’d wrapped around it.
“Do you think it’s gone ? That . . . thing ?” Linn asked. She was slumped in the grass, trying to keep her breath quiet.
“We should move like it isn’t,” Alodie said.
Linn just winced and pulled at her makeshift bandage, rearranging it like that would fix something.
“It’s not so bad. Boyce has done much worse,” Alodie said, helping her up.
“Now you feel like helping ?” Linn sneered as she rose from the bramble.
“I’m here, aren’t I ?” Alodie said, trying her best to keep them moving. “I would have told you if I’d known.”
Linn was quiet.
Concessions could be good. She tried again. “If I had done anything, they would probably have killed us both.”
Linn stared at her, dumbfounded. Maybe mad at herself for not realizing what a nightmare she’d cozied up to. Maybe madder at Alodie for letting her.
“You know, normally the smart ones pay on time.” Alodie tried to keep the criticism out of her voice. It didn’t work.
Linn shoved away from her and walked on her own. It was even slower going.
“And you’ve never been in a rut, have you, Miss Alodie ?” Linn spat back.
“Nobody wanted to come down to Mewls for months. I tried taking orders in the
Upper. Things just slowed.”
Despite herself, Alodie felt the instincts surging, spoiling for a fight she could
win. “So you decided to have us carry the debt for you ?”
“‘Us’ ?” Linn was incredulous. “You know how much money they have. You’re
always talking about how shite they all are—why do you care if I need a couple
weeks ?”
“I don’t,” Alodie said, realizing. She let the fight lapse. Linn deserved to have
this, at least.
Alodie reached out to help her over some misshapen roots. “When they’re
coming by for your other hand, I’ll give you a warning first.”
Linn just stared back, face all ashen misery. “You don’t get to joke about it.”
Alodie had gone too far. It hadn’t even been a night.
“Not until I joke about it a couple times.” Linn smirked. “Ideally with an audience.”
The forest was quieter. Tentatively, they settled into a slow walk. A shared pace.
In an hour, they’d heard no sounds of pursuit and seen nothing else alive. The forest seemed stripped of its chatter, and there was no sign of the night giving way or of the forest thinning out. They were both shivering.
From far off, Alodie heard a noise she recognized. A dying horse, whinnying around a mouthful of fluid. As they drew closer, she saw its belly had been opened.
Linn looked away and covered her face with her good arm.
Alodie stopped to help her lean against an oak and searched near where the horse had fallen. She returned with a torch and a strikebox, then took Linn by the shoulder. “Are you going to . . . ?” Linn asked, leaving the question unfinished.
Alodie ignored her. Hustled them both away, fast.
She’d watched coachmen put down horses before. It was always sad, seeing the trust in their eyes. But at least she could tuck that away. The sight of those writhing bodies by the carriages, the way they moved like puppets. . . that, she couldn’t forget.
If an animal was dying here, still making noise, that could be a distraction.
Whatever was hunting them could go hunt something else.
She veered opposite their path, driving Linn on, moving south. What she hoped was south—the trees were too thick to see the stars. The grainy wet soil started to give way to rocks, shards of granite that scraped her boots. Linn tripped even more often, breathed heavier, walked with her head down. Alodie stumbled a few times herself. They made a sluggard’s pace in the dark, but the Solterwood thinned, ever
so slightly, until they nearly smacked into a wall.
They were leaning against cold, mossy granite. A cave mouth yawned open a few dozen feet from them. Shelter.
Relief flooded Alodie. The constant feeling of being watched receded.
Alodie laid the torch on dry rocks, hunched over it with the strikebox open. She began pounding flint and steel, then blowing on an ugly gloveful of tinder. It was awkward and imperfect work, but not her first time. The torch burst into flame.
“Now you’re not being serious,” Linn said. But she shivered. Her voice was questioning, not demanding. She wanted to be wrong.
“Are you thinking we just walk until we collapse ? We’ll be safer if nothing can sneak up on us,” Alodie reasoned. She motioned Linn forward.
They paced into the cave, the torch high above Alodie’s head, feeling their way along the cave walls. An open area, somewhere to wait out the night, was all they needed. They hurried, drawing on the vigor of a second chance.
The torch was their lodestar. As they walked, Alodie felt it scrape the cave’s ceiling. She wanted to hold it high, to send its light far ahead.
“How long do we need to be at this ?” Linn asked, huffing. Where her fear had receded, her pain was filling the gaps.
Alodie’s throat was so dry she cleared it twice before she could answer. “We should go deep enough that it would take work to get us out. Somewhere wide open, where we can keep our eye on the entrance.” Alodie wasn’t sure. She just wanted to sound sure. “Then I can take watch for a few hours, keep the torch lit. So
you can get some rest.”
They left the moonlit parts of the tunnel behind. The cave’s walls were humid and wet, the stone occasionally hiding tiny beads of moisture that made her hands slip. Alodie certainly wasn’t looking forward to sleeping on the ground. But they She’d watched coachmen put down horses before. It was always sad,
seeing the trust in their eyes. But at least she could tuck that away.
The sight of those writhing bodies by the carriages, the way they
moved like puppets . . . that, she couldn’t forget.had to make it through. Linn had to make it through.
Something scraped at the cave wall behind them.
“Shhh.” Alodie turned the torch, scanning the area as best she could. She didn’t see anything near in the dimness. But the sound was back the way they’d come.
They backed up, scrambling deeper into the cave, down the corridor. Ahead, it split in two.
Alodie drove them left, ensuring Linn was front of her, nearly shoving her to keep them moving.
Another maze in the dark. Alodie brought them to a turn, took it right—and realized they’d walked an elbow. The cave doubled back on itself.
A sound like an axe-head hitting stone reverberated through the cavern.
Her whole body was paralyzed with fear. Alodie stood unmoving, just pointed Linn down the right corridor. That was all she could manage. Linn looked back at her. Looked ahead again. And started to take shuffling steps forward. Trusted that she wasn’t another dying horse.
It couldn’t corner both of them. Alodie took the other corridor.
She held the torch as high as she could, gripping it with both hands, careful to avoid the wet walls. She didn’t want to see the thing that had ripped the carriage apart. But she had to for them to have any hope of surviving.
Alodie could hear Linn’s breathing for a few seconds, and then she outpaced
the sound. There were no more scrapes, no more clangs. She would find the thing or Linn would. Alodie followed the torch down this new path. Walked until she noticed the droplets beading on the wall had changed, and stopped for just a second to look at them.
They glistened, reflecting something redder than her torchlight.
Alodie turned from the wall, and a fiend looked back at her. Tendrils jutted from its torso like umbilical cords. Its black-gummed mouth bristled with canines and too many tongues, each covered in sharklike teeth.
Its eyes were pits, merciless but not mindless. Too keen. Too human. Fine brocades that would have been genteel a century ago clung to its waist in tatters.
She’d seen clothes like it in Boyce’s mother’s home. Handed down from their parents’ grandparents.
The horror of her family’s arrangement hit her. Alodie knew their business made victims. But she couldn’t imagine any human justification for selling people to this thing. Money ? Protection against its hunger ? A bloodline obligation ?
Frantic, Alodie stabbed the torch toward it. Fire was the Light’s weapon. She swung it wide, twice, then launched herself forward, pressing the torch against the monstrosity, trying to keep as much distance as she could.
It didn’t shriek or recoil as the flames sizzled against its face, just leered at her.
Then it swatted the torch away and tore her throat out with its teeth.
Alodie hit the ground slowly, like a stone sinking to the bottom of a pond. She gasped, unable to make the air go where it should.
In the guttering light of her discarded torch, Alodie watched as Linn limped around the other side of the corridor.
The creature turned, cast two of its tendrils out like whips, and Linn fell, screaming.
The tendrils pulled her close. It settled down to feed.
Alodie’s head lay in a gummy red pool. Everything was numb. She tried to turn
away, but she couldn’t.
Darkness took too long to claim her.
The horror of her family’s arrangement hit her . Alodie knew
their business made victims. But she couldn’t imagine any human justification for selling people
to this thing. Money ?
Protection against its hunger ?
A bloodline obligation ?
At last, the prey took its time to feed. Distracted.
The abomination had watched the two survivors of the carriage move noisily through the forest. At the cavern’s mouth, the taller of them cast torchlight all around, signaling.
The abomination had also watched its prey. An old vampire, wrapped in the vestiges of its human wealth. Clever, sharing its hunt with people in Kingsport—staying out of sight, trading for chattel, and spreading its plague faster for it.
The vampire was led by its impulses. It did not know restraint. Did not accept being denied. It would seek the survivors.
It was agile. The abomination had not wanted to fight it on open ground.
But the two survivors had entered a cave. Allowed themselves to be cornered.
Offered an opportunity.
The smell of blood wafted out of the cave mouth.
It brought Zebediah back to himself.
He was tall, with a beaked nose and long, cloud-white hair he left loose. He had a broad, square face, plain and pale but for the most obvious sign of the curse—sunken red eyes, surrounded by spiderwebbing black veins.
Zebediah wore polished armor, ornamental enough for an old Kehjan court, with brilliant crimson plates horizontal along the abdomen. An ampoule on a chain was fitted tight to the gorget of his armor, the vial filled with green-blue water from the river where he had nearly breathed his last, cornered by beasts he’d thought to draw off alone. To spare others—that had been the highest good he knew, back
when he was more like a child.
His weighty gear was unusual for a hunt in the Solterwood. For anyone hoping to move quickly and quietly through the forest. Yet he had been called to the service of the Annulet as one of their blood knights for decades. He found it hard to change his ways ; they had become indistinguishable from his pledge. All that remains of my life, weighed against the darkness.
Every time his journey became impossible, he found his way back to the pledge.
Few could say it and mean it ; in agony, in dilemma, he had lived it. Zebediah had slain comrades grown accursed and cut the rot from the innocent before it could fester. The life after his life was only ever monstrous ; to face it and remain himself demanded a soul like ice. Unbending.
Zebediah whispered dead syllables to the night air. Shadows rolled around him like fog, silencing the sounds his boots would make on stone.
The screams from within the cavern had quieted, but Zebediah could still hear the raspy croaking of the vampire as it fed. He walked quickly through the cavern, needing no light to find his way.
The tunnel tightened, the rasping louder and louder to his ears. Near a bend in the passage, he at last saw the vampire hunched low, its tendrils cradling one of its victims, attached to her body like a dozen lampreys.
Zebediah had not expected any of the carriage victims to survive, even these last two. But if their deaths could give him a slight advantage against the vampire, he had been right to wait and watch. Nothing was more important than ending its threat.
Zebediah could cloak his approach, but not his scent. The vampire turned to look at him and sprang to its feet, hissing around a mouthful of jagged tongues.
A purple-black lance of solid shadow materialized in Zebediah’s hand, and he hurled it with all his might. Before the vampire could spring away, the lance slammed solidly home, piercing its throat. Its tendrils shot up, struggling to tear away the shadow that ate at its cold flesh.
Somewhere within Zebediah, the curse exulted at the sight of the prey wounded.
He forced it down.
Zebediah advanced on the vampire ponderously, knees bent, longspear held in gloved hands. He did not want to smell the rotten blood pouring from its wounds ; he had to kill it quickly, before it could heal. He stabbed out, punched two quick holes in its chest, and tensed his whole body for a double-handed swipe—
Four serrated tendrils wrapped around Zebediah’s throat and arms, shredding flesh. The pain was more shattering than anything he had experienced—the hundred tiny teeth of the vampire opened sucking wounds that burned, spreading like fire. As the vampire’s tendrils constricted, Zebediah’s spear fell from his hands.
He could feel himself being torn apart.
The tendrils met in the middle of his body. Zebediah melted in a pool of blood.
The vampire paused, hissing, flailing its arms about. It padded forward, tendrils prodding fingerlike at the air. Then it turned back toward the bodies of its victims, insatiable.
A crimson puddle bubbled up behind it, an amorphous body-like mass. The longspear rose with it, clutched in Zebediah’s hand, reforming one finger at a time. His human form returned as blood slid off the mass, and he sprang at the vampire’s back.
Zebediah tried not to look as he stabbed the creature over and over. But he couldn’t
help himself. Three holes. Four. Five. There was something enrapturing about their symmetry, about the perfect bursts of black-red ichor that washed over him. He struck with relish, mortifying his enemy, taking strikes he hardly cared to acknowledge.
Until a tendril scraped at the keepsake around Zebediah’s neck and tore the chain free from the gorget. This vampire had been hunted by a blood knight before.
It knew.
Zebediah dropped to the ground, catching his precious keepsake seconds before it could crash upon the stone. The vampire’s limbs enveloped him, but the curse was what truly held him. Zebediah’s skin stretched and changed ; he gave in, growing into a flayed mass of muscle and blood to rival the vampire in strength and hunger both.
The abomination rent the prey in half, tearing off tendrils and a putrefying arm.
Tore at it with the claret claws of blood its hands had become.
The prey was slick with gore. Wriggled this way and that. Trying to escape.
Escape was impossible.
The abomination swung in a fury, over and over, with no thought of surcease.
Zebediah shook his head like a dog. His hands throbbed in agony. Of all the great distractions that kept him from losing himself, pain had brought him the most clarity. He was pulping the cave wall, had hit it so much he’d cratered the stone a foot deep.
Half the vampire’s sloughed-off flesh lay below him. The other half was gone.
Bloody tracks led out of the cave. It had fled.
He hissed, turned to slam the wall again. The vampire was faster than him ; it knew about him. He could still try to catch it. If he started now, maybe—One of the bodies of the women on the ground twitched. Then, a few seconds later, the other. Again.
In unison.
Who had they been before ? Siblings, perhaps ? Paramours, the casual and affectless way they spoke ?
He had come here to slay the vampire. To stop its curse from spreading.
And yet it had spread anyway, because of his choices. His lack of restraint. Hiscurse, from long before he took up the spear.
What was the highest good ? The best amends ?
The smaller brown-haired woman was a thrill-seeker, with a sense of joy that would have served her well. She had believed she was worth something, even if the world was not.
The fair-haired woman. She had seemed . . . proud. Haughty, even. And yet he
had seen her struggle with her instincts. Knowing her cruelty, using and turning from it in equal measure.
A start. He placed the spear and the keepsake on the ground and knelt before them.
Alodie shivered. Shivered with her whole body. It yearned to move, to tear free from
her thoughts and her mind, each limb crawling away of its own accord. Her sight was buried, a pinprick of seeing in the blackness.
Visions drifted around her. A white-haired man, his beautiful armor caked with gore.
“You are going to die,” he said, in a voice neither cruel nor kind. His accent was unfamiliar, his cadence plain and quick. “It has tainted you. The change will be worse than you can imagine.”
He held a small vial filled with green-blue water above her and unstoppered it.
In all the haze, in all the dark, his movements looked fluid and slow at once. “I can
The fair-haired woman. She had seemed . . . proud. Haughty, even.
And yet he had seen her struggle with her instincts. Knowing her
cruelty, using and turning from it in equal measure.give you peace.”
She wanted to nod. Wanting wasn’t enough to make it happen.
“Or I can give you time. Years. Decades. Perhaps longer.”
Alodie’s body felt like it was drifting somewhere far away. She could barely hear the words. But they held her attention.
He continued, his pitch rising. “It will not be easy. You will train, and you will hunt.
And you will die a monster, more wretched than the one that took your life. Your end will be no better for the evil you have slain, for all the good you have done.”
The good you have done. She tried to look around for Linn. Failed at it.
Urgent words transfixed her. “If you would wake to this life, then vow. Vow it on your blood.”
Alodie was unable to speak. Unable to move. She let her eyes answer him.
The ritual was hurried. Chanting and ablutions from the vial, the darkness of the cave sinking its fingers into Alodie’s eyes like a thing alive. She lapsed in and out of consciousness, spoke, listened, remembered only pieces.
Standing turned out to be a labor, but she stood. Breathed. Ran her tongue over her teeth. Normal. Felt her pulse. Blood beating still. Looked at the white-haired man sitting cross-legged a few feet from her.
Between them was a small puddle of dew. Alodie realized she could see in the dark. Naturally, as she’d done so many times, she checked her reflection.
The wound on her throat was an ugly stitch. Her eyes glinted like light through rubies. They were surrounded by tiny veins the color of grave dirt.
She felt the pang of irreversible change, and let it go. The first need was to live.
The second—Linn sat up as though she had been dragged. Her arms hung limply at her sides. Her face was sallow. Spines poked through the skin of her neck and arms. A guttural, animal noise rose in her throat.
Somehow, Alodie felt weaker than she ever had.
“What you did to me,” Alodie told Zebediah, stammering over the words, “do it for her. You have to.”
Zebediah shook his head. “She has progressed too far. She will be a thrall of the vampire soon. I am sorry. I only had time for one of you.”
All Alodie had left was the good she could do. He had said that. He had made it a promise.
“We . . . If we kill the vampire, will she . . .” Her voice sounded raspier than she
remembered, as if her throat hadn’t healed right.
Zebediah cut in. “Once the change takes hold in earnest, there is no stopping it.”
Alodie felt sick. Tears came unbidden to her eyes, the same useless leaking they’d always been.
“Why me ? Why didn’t you pick her ?”
Zebediah looked away. “Ours is a hard road, and you must know who you are to walk it. Forget yourself—even for a moment—and there is no way back.” There was a far-off look in his eyes as he turned back to her. “I sense that resolution in you.
You, at least, have a chance.”
She walked to Linn, who was writhing like the puppet bodies at the carriage.
Trying to get closer to Alodie with arms and legs that wouldn’t listen. Making sounds that weren’t quite words.
Alodie looked in her eyes, watched her pupils as they turned red and spread out, eclipsing the whites.
Linn couldn’t say anything back to her. And nothing was worth saying just to herself.
The sumptuous blue-and-gold ascot around Linn’s neck was stained to unrecognizability. Alodie slowly unwound it, pulled it over her head, and tied it around her neck, covering the scar. Her own keepsake.
She looked back at Zebediah. Not asking. Accepting. He handed her his spear.
Alodie pointed the spear at Linn’s heart. Waited for some kind of a reaction. For trust to show in Linn’s eyes.
Mercifully, she didn’t see it.
Trust.
She closed her eyes and let the
instincts push
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